Quand ça déborde enfin…

Posted: décembre 18th, 2012 | Author: | Filed under: contrôle, répression, prison, Expulsion, luttes des sans-papier-e-s, Migration, Poitiers, Police, Politiques migratoires/migrants & sans-papiers, sans frontières, sans-papiers, (im)migrations | 1 Comment »

En mars dernier, Kevin était arrêté et immédiatement placé en centre de rétention. Une agitation, inhabituelle à Poitiers, s’en est suivie. Elle s’est conclue avec la libération du lycéen. Retour sur un mois de combat.

Le 25 mars dernier, lors d’une partie de foot à Saint-Éloi, un quartier populaire de Poitiers, une patrouille vient contrôler l’identité d’un des joueurs et l’embarque. Ce garçon c’est Kevin, un lycéen de 19 ans, scolarisé en terminale Bac Professionnel Hôtellerie au lycée Kyoto de Poitiers. Si la Police l’embarque et le fait enfermer au Centre de Rétention Administrative (CRA) du Mesnil-Amelot (77), c’est parce que Kevin, est de nationalité congolaise et sans-papier. En effet, en vertu des législations (anti)migratoires successives promulguées par le pouvoir politique français depuis quarante ans, ce jeune homme, vivant en France avec sa famille depuis 2006, est tenu en situation irrégulière par la bureaucratie préfectorale. Celle-ci, s’appuyant sur le passé judiciaire de Kevin, prétexte une « intégration insuffisante » de sa part et refuse de lui délivrer un « titre de séjour »¹. Très vite, les proches, les personnels, profs et élèves du lycée ainsi que les militant-e-s et les non-affilié-e-s, s’organisent pour obtenir la libération de Kevin : pétitions, rassemblements, manifs sauvages² ont lieu. Une affiche³ invitant à la solidarité avec Kevin et à une offensive contre les frontières est également placardée dans le centre-ville.

Affiche de solidaité avec Kevin

3. Affiche de solidaité avec Kevin

La presse locale fidèle à sa doctrine marchande de « neutralité » relaye la lutte, ainsi que le vomi verbal du secrétaire général de la préfecture d’alors, Jean-Philippe Setbon, (depuis remplacé par Yves Seguy) sorte de sous-Eric Zemmour tant par l’emballage que par le contenu. Un des journaleux va même jusqu’à féliciter le travail de pacification mené lors de la première manifestation par deux militants d’extrême-gauche qui pensaient naïvement pouvoir canaliser les ardeurs de jeunes prolétaires en colère. Les efforts de ces valeureux militant-e-s anticapitalistes s’avèrent inutiles car personne, à part les keufs, ne semble souhaiter une confrontation. Ces derniers attendaient pourtant tranquillement la fin de la manifestation pour arrêter deux personnes. On a également pu voir une autre facette du maintien de l’Ordre à la française : un bus, rempli de jeunes manifestant-e-s quittant la place du marché en direction de Saint-Éloi, suivi par une voiture remplie de BACeux, dont l’un brandit son lance-grenade lacrymogène par la vitre ouverte.

Kevin lui, reste en contact avec ses proches par l’intermédiaire de son téléphone portable et a donc vent de l’agitation que la perspective de son expulsion vers le Congo (où son père a été tué car il s’opposait au pouvoir politique) provoque à Poitiers. Peut-être cela explique en partie que le 19 avril 2012, alors que des policiers le maintiennent contre son gré dans un avion de ligne à destination de Kinshasa, il se débat et hurle qu’il n’a pas à être renvoyé au Congo, surtout pas à deux mois du bac. Des passagers du même vol, prévenu-e-s à l’aéroport par des membres du Réseau Éducation Sans Frontières (RESF) se lèvent alors, empêchant de fait le décollage de l’appareil. Et ce malgré les menaces des porcs de la Police Aux Frontières (PAF) puis des CRS, qui filment les passagers debout pour les intimider. Au bout de deux heures, l’avion décolle finalement sans Kevin à bord, qui est libéré par le Juge des Libertés et de la Détention (JLD) le lendemain. Un passager est également débarqué de l’appareil par la Police qui lui reproche une rébellion.

Ce que nous souhaitons retenir de tout ça, c’est que contrairement aux précédentes tentatives d’expulsion, la défense de Kévin a été organisée rapidement et par de multiples forces (lycée, associations, partis d’extrême-gauche, anarchistes et autres), que certain-e-s engagé-e-s dans cette défense n’ont pas hésité à sortir des cadres habituels de la défense des sans-papiers à la pictave, très certainement par méconnaissance des-dits cadres. Ainsi le tempo impulsé par les jeunes de Saint-Éloi (que les militant-e-s habituel-le-s n’ont pu que suivre, non sans mal) lors de la première manifestation a fait son petit effet médiatique et a contribué à faire parler de la situation de Kévin. Cette manif’ – composée, c’est assez rare pour être signalé, de 400 personnes – n’est pas passée inaperçue, tant par sa durée, son trajet assez long et plutôt spontané et sa vitesse très soutenue, que par son niveau sonore. Les autres manifestations, plus calmes et reprises en main par une présence policière plus forte et plus agressive et par la frange la plus citoyenne des collectifs de défense des sans-papiers n’ont pas eu le même écho même si elles ont contribué elles aussi à montrer que cette violence d’État créait du désordre, et qu’il était préférable de libérer Kévin afin de rétablir une certaine paix sociale dans les rues piétonnes de notre ville « bonhomme ». Nous supposons que ce mouvement de soutien a joué sur la motivation de Kevin à ne pas se laisser embarquer de force vers le Congo et qu’il peut servir localement comme un précédent de résistance «victorieuse» à l’expulsion du territoire. Le travail des militant-e-s du RESF ici comme en région parisienne a aussi très certainement contribué à faire se lever (littéralement) les passagers du vol vers Kinshasa contre une certaine politique migratoire française et ce sous une pression policière étouffante. Pour nous, même si on ne peut parler de recette miracle, il semble que cet agencement de diverses pratiques très complémentaires de lutte puisse porter ses fruits. Une leçon à méditer ?

 

1. Le « titre de séjour » bien que ressemblant à la carte nationale d’identité (héritage pétainiste), permet un contrôle encore plus accru des populations qu’il concerne. Il est temporaire et délivré au compte-goutte bien souvent au bon vouloir et à l’arbitraire des préfectures. Une personne n’ayant plus de titre de séjour valide devient « sans-papier », est considérée « en situation irrégulière », à la merci d’une expulsion du territoire, ne bénéficie plus des prestations sociales mais peut toujours cotiser et payer l’impôt, ça y a pas de problème… Autant dire le profil bas est de rigueur pour obtenir et conserver le précieux sésame.

2. Le compromis tacite actuellement en vigueur à Poitiers entre la Police et les militant-e-s est assez pacifié : la Police laisse les manifestations non-déclarées en préfecture se dérouler, et les accompagnent, dans la mesure où elles ne sortent pas de la promenade où on crie un peu.

 

Les suites de « l’affaire de l’affiche noire »

Dans nos dernières brèves du désordre (voir l’Épine noire n°1), nous relayions une initiative de solidarité avec les sans-papiers, à savoir un collage d’affiches incitant la population pictave à se débarrasser du préfet et de son secrétaire général d’alors (tous deux aujourd’hui remplacés par d’autres) plutôt que de laisser les immigré-e-s être chassé-e-s par le pouvoir politique. Il semble que la maison poulaga ait peu goûté cette initiative, puisqu’elle a, en janvier dernier, auditionné une personne qu’elle soupçonnait être l’auteur de l’affiche. Affaire à suivre…?